Jean-Anthelme Brillat Savarin a marqué la gastronomie française par son génie culinaire et son imagination. Ce notable fortuné n’était pourtant ni artisan de bouche, ni cuisinier. Outre sa fonction à la Cour de Cassation, sa célébrité vient du faste des dîners qu’il organise et de son ouvrage, décrit comme un petit chef-d’œuvre d’humour, d’esprit, de philosophie et d’art culinaire : La Physiologie du goût.
Magistrat et gastronome
Né dans une famille de magistrat, il se destine lui-même à une carrière de juriste. En plein siècle des lumières, il s’ouvre à bon nombre de domaines (chimie, musique, médecine, langues étrangères). Après des études de droit à Dijon, il revient en 1780, dans sa ville natale de Belley (01) pour y exercer le métier d’avocat, puis devient président du Tribunal civil du département de l’Ain.
Pendant les années de la terreur il part s’exiler en Suisse et voyage en Hollande, aux Etats-Unis où il découvre le « restaurant », pas encore vraiment répandu en France.
Il rentre en France en 1796, occupe de hautes fonctions dans la justice et publie des ouvrages d’économie politique. En 1808 il devient conseiller à la Cour de cassation et reçoit le titre de chevalier de la Légion d’Honneur. Il a déjà un goût très prononcé pour la gastronomie, apprécie les bons restaurants qui se démocratisent et reçoit beaucoup chez lui autour notamment d’un filet de bœuf aux truffes.
L’homme de lettre
De par sa charge, Brillat Savarin écrit sur l’économie politique, la théorie judiciaire, l’organisation des tribunaux, la Cour Suprême. Mais son ouverture d’esprit l’amène aussi à traiter des sujets plus variés comme l’archéologie dans l’Ain, l’histoire du duel, et les voyages.
Sa publication la plus célèbre reste la Physiologie du goût, parue en 1825, deux mois avant sa mort. Le titre complet est Physiologie du Goût, ou Méditations de Gastronomie Transcendante ; ouvrage théorique, historique et à l’ordre du jour, dédié aux Gastronomes parisiens, par un Professeur, membre de plusieurs sociétés littéraires et savantes. Il y traite les plaisirs de la table, approchés comme une science. Le livre connaît un succès immédiat.
« En considérant le plaisir de la table sous tous ses rapports, j’ai vu de bonne heure qu’il y avait là-dessus quelque chose de mieux à faire que des livres de cuisine, et qu’il y avait beaucoup à dire sur des fonctions si essentielles, si continues, et qui influent d’une manière si directe sur la santé, sur le bonheur, et même sur les affaires. Cette idée une fois arrêtée, tout le reste a coulé de source : j’ai regardé autour de moi, j’ai pris des notes, et souvent, au milieu des festins les plus somptueux, le plaisir d’observer m’a sauvé des ennuis du conviviat. »
La Physiologie du goût
Ce livre est décrit comme un « livre divin qui a porté à l’art de manger le flambeau du génie ». Il parle de la gastronomie comme d’une science exacte, défendant la gourmandise avec un touche d’humour. Il y observe certains aliments comme la volaille, le café ou encore les truffes.
Il débute son analyse par vingt aphorismes, ces maximes qui ont permis à Brillat-Savarin de prendre place parmi les grands classiques.
- L’univers n’est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.
- Les animaux se repaissent ; l’homme mange ; homme d’esprit seul sait manger.
- La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.
- Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es.
- Le créateur, en obligeant l’homme à manger pour vivre, l’y invite par l’appétit, et l’en récompense par le plaisir.
- La gourmandise est un acte de notre jugement, par lequel nous accordons la préférence aux choses qui sont agréables au goût sur celles qui n’ont pas cette qualité.
- Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s’associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.
- La table est le seul endroit où l’on ne s’ennuie jamais pendant la première heure.
- La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile.
- Ceux qui s’indigèrent ou qui s’enivrent ne savent ni boire ni manger.
- L’ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.
- L’ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées.
- Prétendre qu’il ne faut pas changer de vins est une hérésie ; la langue se sature ; et après le troisième verre, le meilleur vin n’éveille plus qu’une sensation obtuse.
- Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un oeil.
- On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.
- La qualité la plus indispensable du cuisinier est l’exactitude : elle doit être aussi celle du convié.
- Attendre trop longtemps un convive retardataire est un manque d’égards pour tous ceux qui sont présents.
- Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas qui leur est préparé, n’est pas digne d’avoir des amis.
- La maîtresse de la maison doit toujours s’assurer que le café est excellent ; et le maître, que les liqueurs sont de premier choix.
- Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit.
L’héritage de Brillat Savarin
Un fromage, le brillat-savarin est nommé en son honneur. Un gâteau moelleux et aéré en forme de couronne, porte le nom de savarin et une rue de Paris, située dans le XIIIe arrondissement lui rend hommage.
Brillat-Savarin reste une référence pour bon nombre de grands cuisiniers et reste associé à des recettes charcutières. Celui qui portait aux nues les produits de sa région (la volaille des Bresse, le bleu de Gex, les écrevisses, les grenouilles…) laisse derrière lui une magnifique recette de pâté en croûte, l’Oreiller de la Belle Aurore, reprise, entre autres, par Paul Bocuse ou encore Mathieu Viannay.